Il suffit parfois d’une imprimante pour poser la question du sens : portrait ou paysage.

En impression, le mode « portrait » désigne une orientation verticale ; le mode « paysage », une orientation horizontale. Une mauvaise orientation suffit à déformer l’image, fragmenter le texte ou faire apparaître d’étranges vides.

En peinture, il existe trois formats traditionnels de châssis : figure, paysage et marine. Ces termes ne désignent pas seulement une orientation, mais aussi des proportions spécifiques. Le format « marine » est le plus allongé, le format « paysage », lui aussi horizontal mais moins extrême ; et le format « figure » est généralement plus proche du carré.

Ces choix de format influencent directement l’équilibre de la composition, la circulation du regard, le rythme de l’image. L’horizontal suit le mouvement naturel de l’œil qui parcourt l’horizon. Il invite à l’exploration latérale, à une errance visuelle dans l’espace du tableau. À l’inverse, le format vertical accompagne l’élévation du corps humain, propose une relation plus frontale, plus directe avec le spectateur.

Mais ces formats ne sont pas des carcans. Les artistes peuvent jouer avec eux, les détourner, les contrarier. Donner de la verticalité à un format horizontal, ou inversement, peut ouvrir des tensions formelles nouvelles.

 

Piet Mondrian s’est confronté de manière radicale à ces questions. Avec sa grille, il propose une forme d’épure. Chez lui, la grille n’est pas un simple procédé formel : elle exprime une tension fondamentale — celle de l’être sur Terre.

La ligne horizontale symbolise la nature, le paysage, la matière étendue. La ligne verticale incarne l’élévation, la conscience, la présence humaine.

Dans Le Nouveau Plasticisme, publié en 1917 dans la revue De Stijl, Mondrian écrit :

« L’action réciproque de la verticale et de l’horizontale constitue la vie. »

Il y voit une structure de l’univers, une rencontre entre esprit et matière, entre l’élan vertical de l’humain et l’horizontalité du monde qu’il habite.

Depuis, notre rapport à l’image a profondément changé, avec le monde contemporain et la postmodernité. Et pourtant, aujourd’hui encore, les artistes — chacun à leur manière — jouent, déjouent et rejouent avec ces codes fondamentaux.

Jean-Michel Alberola fait surgir la figure comme un élément parmi d’autres, prise dans un réseau de signes, de mots et de formes. Elle n’est pas centrale, mais agit en relais, entre dessin, peinture et pensée politique. Dans la série de tableaux Elizabeth II, le portrait est réduit à un nom inscrit sur un fond monochrome reprenant les couleurs d’une des célèbres tenues de la reine d'Angleterre.

Chez Romain Bernini, le portrait humain cède sa place à un gros plan sur le regard d’un animal. Ce regard semble inverser la relation traditionnelle entre sujet et observateur : qui regarde qui ? Par ce dispositif, l’artiste nous invite à une réflexion sur notre comportement, sur les implications de l’Anthropocène, et sur les limites que nous traçons entre l’humain et l’animal. 

À travers la représentation d'objets tels que des masques, des vêtements ou des gâteaux, Mireille Blanc explore la présence/absence humaine. Derrière le masque, le visage se devine ; sous le t-shirt, un corps s’esquisse. Ses gros plans serrés sur ces objets s’apparentent davantage au portrait qu’à la nature morte.

Vincent Bioulès travaille sur le motif, regardant ses paysages en face, portant en lui ses souvenirs d'abstraction. Sa démarche s’ancre dans une géographie concrète, celle de la Méditerranée. Il peint la nature, mais toujours en la reliant à un intérieur personnel.

Les peintures de Damien Cadio interrogent la fragilité de l’image à travers des paysages ambigus, souvent en ruine, figés dans un entre-deux. Il déconstruit les représentations classiques pour révéler une tension entre beauté et désastre. Le paysage devient ainsi un théâtre silencieux où l’absence et la mémoire prennent forme.

Florence Reymond peint des enfants et des adolescents en plein jeu, capturant des gestes vifs et des postures accentuées. Ses scènes oscillent entre l'innocence du jeu et une tension latente. À travers une palette de couleurs saturées, elle inscrit ses personnages dans un espace qui les englobe ou, au contraire, les découpe dans un blanc presque abstrait, créant un contraste saisissant entre les figures et leur environnement.

Le travail d’Aurore Pallet puise ses sources dans une vision romantique du paysage, qu’elle aborde non comme un motif, mais comme un espace mental, le lieu d’une expérience intérieure. Le paysage fait écho à l’idée des augures de l’Antiquité, parfois une tempête qui se prépare au loin, parfois un oiseau qui traverse un paysage ou un nuage à la forme étrange. « Ce sont ces détails-là que j’ai choisis de mettre en avant et qui sont en surimpression avec des ombres d’aujourd’hui… »

Raphaëlle Ricol mêle peinture, collage et résine pour composer des images vibrantes, souvent peuplées de figures hybrides, grotesques ou mutantes. La figure y est à la fois masque et matière, immergée dans des paysages mentaux saturés de couleurs acides et de formes éclatées. Chez elle, le corps traverse le monde comme un champ de forces, fusionnant avec un décor instable où réel, fantasme et inconscient se télescopent.

Dans sa nouvelle série, Thomas Verny recompose les portraits de ses proches, les plaçant dans des compositions où se mêlent souvenirs et les lieux qui leur ont donné forme. Il peint également une série d’autoportraits où il revisite les œuvres de grands maîtres, en leur rendant hommage, avec citation, filiation et décalage.

Dans la série Upside Down de Mathieu Weiler, les repères visuels sont flous, mêlant réalisme et abstraction. Le sens de lecture est perturbé, car il n'y a ni haut ni bas. Chaque tableau suit un protocole précis : une ligne centrale divise l’œuvre en deux, la partie supérieure est peinte, puis la toile est renversée pour peindre la partie inférieure. Cela donne naissance à des œuvres où chaque tableau présente deux parties supérieures, assumant pleinement son renversement.