On l'a découvert peignant sur d'humbles pochettes en papier kraft des scènes de la vie quotidienne, inconnus croisés dans la rue, paysages urbains, à la manière d'un documentariste. Egalement à l'aise sur la toile et en grand format pour saisir les passagers d'une rame de métro, tranche d'humanité en vitrine vue du quai, un tableau monumental et mémorable.
Romain Ventura a ensuite revisité l'art du portrait en utilisant le halo du téléphone portable pour créer des clairs obscurs. A la fois caravagesques et contemporains. Avec l'exposition « Fragments d'éthernet », il pousse un cran plus loin son exploration des technologies en convoquant l'imagerie numérique. Sans se départir de cette bonne vieille peinture à l'huile que beaucoup d'artistes d'aujourd'hui ont renié, préférant les facilités de l'acrylique. Il signe aussi des fusains.
Voici donc des compositions issues de compilations d'un logiciel de scannage en trois dimension, équipement devenu courant sur les téléphones. Cette scientifique et ludique représentation du monde, troublée par des bugs peu ou prou maitrisés, est familière aux jeunes générations. Elle permet à Romain Ventura de nouvelles variations pour un exercice dans lequel il excelle : l'autoportrait. Il le teinte toujours d'autodérision, de fragilité, de solitude, et souvent d'une mélancolie, ici très prégnante.
A l'unisson de la noirceur des fonds pétrole des tableaux où le corps fragmenté, déformé, éthéré, semble flotter comme dans un rêve indéchiffrable, un spleen baudelairien, ou peut-être dans les limbes sans limites du Net.
Des objets accompagnent cette étrange dérive. Ce sont des jouets, vestiges d'enfance, un soldat indien, des figurines de Star War, reliques rassurantes accrochées au creux d'une paume. Ces mains déchiquetées évoquent un univers fantastique de SF ou d'animation 3D. Mais les macabres et glaçantes découpes anatomiques de Géricault inspirent aussi Ventura.
On découvre encore un saisissant « Narcisse tombant », un Narcisse dont le reflet se disloque dans l'eau sombre et miroitante d'une mare, semblable aux fonds ténébreux de cette série d'oeuvres. Ce tragique et allégorique Narcisse, c'est bien sûr Romain Ventura en chair et en os qui continue de se livrer avec autant de spontanéité que de pudeur, de provocation que de délicatesse, d'expérimentations téméraires que de clins d'oeil déférents à l'histoire de l'art.